Vivre à l'Intersection de Deux Identités

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(Note de l’éditeur) : L'autrice est née d'une mère marocaine et un père centrafricain et a grandi en France

Les communautés d’Afrique du nord, d'Afrique de l’ouest et celles d'Afrique centrale sont parmi les minorités les plus visibles en France. Elles cohabitent dans les grandes villes, principalement en banlieues, bien que l'on puisse aussi les retrouver dans des villes à taille plus modeste, de même qu'au cœur des villages du territoire français. 

Dans un pays où nous avons le sentiment de ne pas toujours être accepté.e, notre africanité nous unit. Cette proximité, par le biais du mariage ou encore de la vie conjugale, rapproche parfois Africain.es du nord et Africain.es subsaharien.nes. La mixité au sein des couples n'est cependant pas simple à vivre au quotidien.

La vie dans la dualité : mon expérience personnelle 

Je suis le fruit d’une de ces unions mixtes. Il y a encore trente ans, une union entre un.e Africain.e du nord et un.e Africain.e subsaharien.ne était qualifiée d'atypique. Aujourd'hui s'il est vrai que les unions entre les deux groupes de population sont de plus en plus communes, il n'en demeure pas moins qu'elles sont encore perçues à bien des égards comme étant subversives.

Africain.es du nord et Africain.es subsaharien.nes se fréquentent certes, seulement i.elles se marient très peu entre elleux. I.elles partagent le même continent d’origine, les mêmes valeurs, et très souvent la même religion, seulement beaucoup se refusent à partager la même intimité et la chaleur d'un même foyer.

Comment donc se débrouiller en tant qu'enfant, fruit d'une de ces unions mixtes ? Comment trouver sa place ? Que faire lorsque l’on a le sentiment douloureux de se retrouver au milieu d'une guerre qui oppose deux frères issus d'un même lit ? 

Si vous partagez les mêmes sentiments que moi, vous le gérerez très mal au début. Être métis.se eurafricaine c’est une chose, être métis.se africaine en est une autre. Nous sommes bien plus nombreux.ses qu’on ne se l’imagine et jusqu’ici peu sont celleux qui font état de notre cas.

Pour peu que vous ayez le teint clair, la société vous colle une identité européenne. Fait qui peut parfois se révéler frustrant. Outre les frustrations il y a aussi l'incompréhension. Enfant, vous avez parfois eu du mal à comprendre pourquoi certains membres de votre famille refusaient de vous adresser la parole, quand d'autres vous choyaient et considéraient que vous étiez un joyau.

Si vous avez eu le malheur d'être née femme avec une chevelure crépue, vous la brûliez littéralement à l’ammoniaque pensant ainsi être plus désirable (Vous le faites possiblement toujours).  De l’autre côté, cette même chevelure crépue et métissée suscite à la fois l'envie et l'admiration de bien de gens. Vous avez appris à dissimuler vos origines lorsque cela était nécessaire. Vous avez souvent dû composer avec la négrophobie et parfois avec le colorisme. Selon votre carnation vous êtes considéré.e tel.le un.e pestiféré.e, ou comme un.e privilégié.e.

Le culte de la peau claire 

Dans un Maghreb fortement arabisé, la mélanine est un handicap. Plus vous en avez et plus votre insertion dans la société devient compliquée. Doit-on se risquer à avoir avec vous un enfant noir ou un enfant à la peau foncée ? Votre seule carnation peut fortement déprécier la valeur que la société projette sur votre entourage.

En Afrique subsaharienne où trop souvent un culte est voué à la peau claire, chaque métis.se pourrait à raison se demander s'il.elle n'est pas simplement fétichisé.e ou encore porté.e au rang d’accessoire de beauté. Un accessoire qui auréolant votre partenaire d'un peu plus de prestige. Votre présence au sein d’une entreprise ne relèverait-elle pas purement et simplement d'une stratégie marketing ? Il est légitime que vous vous sentiez parfois voire souvent utilisé.e.

Il vous arrive de douter de la bonne foi et des bons sentiments des autres à votre endroit. " Suis-je ici parce que je le vaux bien ou alors suis-je là grâce à ce que je représente dans l’inconscient collectif ?

Ne nous méprenons pas. Faire partie du camp des privilégié.es rend la vie fort agréable. J'en ai pleinement conscience puisque en tant que femme métisse à la peau claire je me sais privilégiée par rapport à d'autres. Seulement ma position a tout d'une position bâtarde.

Un jour je suis une « 3azzia » et le lendemain je suis traitée de « blanche ». Il n'y a trop souvent qu’une facette de mon identité qui est perçue, et pourtant comme tout être humain je suis divergente. On ne saurait me mettre dans une seule case. 

Forte de mon métissage j'ai appris à penser au-dehors et en dehors du cadre de mes cultures d'origine. J'ai appréhendé les mécanismes de pensées de mes proches et j'ai été capable de me défaire des projections qui étaient faites sur mon identité. 

Être métisse c'est naviguer sans cesse entre ces différentes identités africaines si proches et si éloignées à la fois. C’est un exercice que vous avez peut-être aujourd'hui parfaitement bien assimilé.

Vous avez un jour décidé de vous affranchir des perceptions et autres projections de la société de même que celles de votre famille. Vous avez un jour décidé de mieux vous (in)former. C'est alors qu'après une recherche Google vous avez découvert le terme « Afro-arabe ».

Afro-Arabe

Un terme qui condense tant d'imperfections que de douleurs. Un terme que malgré tout vous avez pleinement embrassé. Dès lors vous avez su que vous n'étiez pas seul.e. Vous avez découvert une communauté de destins avec laquelle vous partagez un vécu commun.

Il serait aberrant de sous-estimer le pouvoir de la représentation. La représentation inspire. La représentation offre de nouvelles perspectives et bien des fois la représentation donne de l’espoir.

Voici pourquoi j’ai créé cette plateforme nommée The Mazeej Project. Offrir un espace de partage et d’expression pour toutes les personnes qui jonglent douloureusement entre leur africanité et leur arabité, telle est ma volonté , car j'ai compris que se sentir appartenir à une communauté, c'est s'offrir une forme de reconnaissance et de fierté. Et le sentiment d'appartenance a tout de précieux car il forge une personnalité et scelle un destin. 

Pour le meilleur et sans le pire.

Avertissement : Les opinions et opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position du magazine.

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